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le parcours historique de John Madu, d’Amsterdam à Paris

Un tournant pour l’art contemporain africain

8 nov. 2025 – 3 janv. 2026

Le regard de la curatrice : le parcours historique de John Madu, d’Amsterdam à Paris

Dans l’écrin feutré de la galerie Zidoun‑Bossuyt, au 51 rue de Seine, entourée des toiles vibrantes de John Madu, j’ai eu le sentiment d’assister à quelque chose de rare. Beyond Borders, première exposition solo de l’artiste en France, ne se contente pas de présenter un nouvel ensemble d’œuvres. Elle affirme une présence, installe une voix et annonce avec clarté la place que l’art contemporain africain occupe désormais sur la scène internationale.

Cette étape parisienne arrive après un moment historique. Du 30 mai au 7 septembre 2025, John Madu est devenu le premier artiste africain exposé au musée Van Gogh, à Amsterdam. Dans une institution entièrement dédiée à l’une des figures majeures de l’art occidental, un artiste nigérian autodidacte, formé à Lagos, a pris place, ouvert un dialogue et inscrit son nom dans l’histoire.

 

Amsterdam : un dialogue avec Van Gogh

L’exposition du musée Van Gogh ne fut pas un simple jalon de carrière. Elle a proposé une manière nouvelle de penser la conversation entre Europe et Afrique. Invité à répondre à sept tableaux originaux de Van Gogh, Madu a créé dix œuvres qui relisent le vocabulaire pictural du maître néerlandais à partir d’un point de vue ouest‑africain, profondément ancré dans le Lagos d’aujourd’hui.

Plutôt que de citer Van Gogh ou de se placer dans une posture d’hommage, Madu choisit la confrontation fertile. Il fait entrer dans le cadre des éléments du quotidien ouest‑africain : la texture des tissus en wax, le motif immédiatement reconnaissable des sacs « Ghana‑must‑go », la lumière chaude des lampes de table, les chaises en plastique blanches des cours de Lagos. Ces objets ne sont pas des accessoires. Ils agissent comme des outils de traduction, qui font circuler l’intensité émotionnelle de Van Gogh vers un autre contexte, une autre histoire, un autre imaginaire.

Madu le formule avec une grande lucidité :

« Je vois clairement des parallèles entre le parcours de Van Gogh et le mien, notamment dans la manière dont nous faisons face à la solitude. Créer peut être une démarche solitaire, et il y a aussi la pression des attentes de la société sur ce que signifie être artiste. »
Cette capacité à reconnaître ses propres fragilités dans celles de Van Gogh donne à l’exposition d’Amsterdam une profondeur affective singulière.

 

Beyond Borders : prolonger la conversation à Paris

 

Beyond Borders
prolonger la conversation à Paris

À Paris, Beyond Borders prolonge ce dialogue en l’élargissant. À la galerie Zidoun‑Bossuyt (8 novembre 2025 – 3 janvier 2026), les œuvres réunies interrogent l’identité, la mémoire et la circulation des images dans un monde saturé de références visuelles.

Une toile retient immédiatement le regard : une façade jaune baignée de soleil, des volets verts, une figure qui traverse la cour en portant des objets sur la tête, des plantes en pot, quelques meubles. La matière épaisse, les jaunes et verts intenses, l’échelle intime de l’architecture évoquent La Maison jaune de Van Gogh. Pourtant, la scène appartient sans ambiguïté à Lagos. Là où Van Gogh peignait sa maison d’artiste à Arles, Madu installe un fragment de vie domestique ouest‑africaine, avec ses gestes, ses rythmes, ses textures. Le trajet entre Arles et Lagos devient visible, presque tactile.

Un autre tableau fonctionne comme un véritable manifeste. Le visage de Van Gogh, chapeau de paille sur la tête, se superpose et se fragmente avec celui de John Madu. Un tracé blanc souligne les contours, brise les formes, ouvre des failles. Deux artistes, deux continents, deux temporalités partagent le même espace pictural. En arrière‑plan, les motifs d’Ankara imposent leur présence aux côtés de la touche reconnaissable de Van Gogh. L’image ne hiérarchise pas, elle met en présence. Elle affirme une conversation d’égal à égal.

 

L’intime domestique comme espace politique

Le soir du vernissage, la galerie ne désemplit pas. La densité du public dit quelque chose de l’appétit croissant pour l’art contemporain africain dans les capitales européennes. Collectionneurs, curateurs, amateurs éclairés circulent entre les œuvres, s’arrêtent longuement, discutent. Le travail de Madu parle à plusieurs registres à la fois : formel, symbolique, historique.

The Symbolism of Domestic Intimacy

Parmi les œuvres, une scène d’intérieur s’impose comme un condensé de sa démarche. Une figure plongée dans un livre, des rideaux orange à motifs qui encadrent un tableau accroché au mur, une nature morte au premier plan avec bouteille, fruits, tubes de peinture, chaises en plastique blanches, motif de sac « Ghana‑must‑go ». Tout semble familier, et pourtant tout est chargé d’histoire.

Symbolism of Domestic Intimacy

Dans cet intérieur, chaque objet devient signe. La pièce s’inscrit dans une tradition de la peinture d’intérieur européenne, de Matisse à Bonnard, tout en étant irriguée par la culture matérielle du Nigeria contemporain. Les livres empilés évoquent des trajectoires éducatives, des systèmes de savoir. Le tableau dans le tableau produit une mise en abyme qui renvoie à la circulation des images et des influences. Le wax, né de l’industrie textile européenne et réapproprié par l’Afrique de l’Ouest, se fait métaphore de la circulation des formes, des idées, des histoires.

Champs de Van Gogh, trajectoires de Lagos

Une autre toile, parmi les plus marquantes, déploie un vaste champ vert traité en empâtements généreux. On pense immédiatement aux paysages de Van Gogh. Au premier plan, une boîte d’allumettes porte son portrait. À l’arrière‑plan, des silhouettes contemporaines, baskets aux pieds, sacs « Ghana‑must‑go » à la main, traversent la composition. Le ciel turquoise, la matière picturale, la tension des couleurs renvoient à Van Gogh. Les marqueurs culturels, eux, appartiennent pleinement à Madu.

L’œuvre pose une question simple et décisive : qui a le droit de se revendiquer d’une histoire de l’art donnée ? En faisant coexister Van Gogh et Lagos dans le même champ, Madu refuse l’idée d’un héritage à sens unique. Il montre que les traditions se déplacent, se reconfigurent, se réécrivent à partir d’autres géographies.

Van Gogh’s Fields, Lagos’s Streets

 

Fragmentations cubistes et identités multiples

Accrochés sur un mur blanc, deux portraits aux couleurs vives explorent une autre facette de sa pratique. Les visages se dédoublent, se fragmentent, se recomposent en plans de jaune, de vert, d’orange. Le tracé blanc qui souligne les contours évoque autant certaines recherches cubistes que la stylisation des masques africains. Il impose un rythme visuel qui accompagne la réflexion sur l’identité.

 

Sur un autre portrait, une figure en haut rouge tient un pinceau. Son visage, lui aussi fragmenté, semble osciller entre plusieurs états, plusieurs positions. Le fond texturé, les couleurs saturées, la présence du geste pictural font de cette image une sorte d’autoportrait élargi, où l’artiste se pense à la fois comme sujet, comme corps et comme regard.

two cubist portraits on wall
two cubist portraits on wall

 

Une exposition vécue collectivement

Ce qui se joue dans la salle ne se limite pas aux toiles. L’exposition se construit aussi dans la manière dont le public s’en empare. Des amis, des collègues, des passionnés d’art se retrouvent devant les œuvres, discutent, se prennent en photo, reviennent sur certains détails.

Plus loin, deux visiteurs s’arrêtent devant une scène de paysage vert, prennent le temps de regarder, de déchiffrer les silhouettes, les gestes, les objets. La circulation des corps dans l’espace répond à la circulation des motifs sur les toiles.

Community, Witness and Reception

 

Un autodidacte à la maîtrise affirmée

Né à Lagos en 1983, diplômé en politique et études stratégiques, John Madu n’est pas issu d’un cursus classique en école d’art. Cette trajectoire singulière se ressent dans sa pratique. Son travail s’appuie sur la recherche, la construction méthodique des idées et une curiosité constante pour les matériaux et les formats. Il s’est formé seul à l’acrylique, à l’huile, à la bombe, à l’encre, au burlap, au collage, et étend ce vocabulaire à la sculpture, au design d’objet, à l’art fonctionnel, à la mode.

À Paris, la maîtrise technique est manifeste. Les empâtements rivalisent avec la densité de la touche de Van Gogh. Les accords de couleurs, comme ces oranges brûlants posés sur des murs turquoise, ou ces superpositions de motifs dans les intérieurs, produisent des atmosphères qui oscillent entre familiarité et étrangeté, douceur et tension.

Institutions, marché et repositionnement du regard

Le parcours de Madu illustre un basculement plus large. En quelques années, il a enchaîné des expositions dans des contextes institutionnels exigeants :

  • 2022 : The Year of the Masque, Fondazione Mudima, Milan
  • 2025 : Van Gogh x John Madu: Paint Your Path, musée Van Gogh, Amsterdam
  • 2025 : Beyond Borders, galerie Zidoun‑Bossuyt, Paris

À cela s’ajoutent des collaborations avec des marques comme DIESEL ou Bombay Sapphire, qui montrent la capacité de son univers visuel à circuler au‑delà du champ strictement muséal. Sa représentation par Zidoun‑Bossuyt, présente à Paris, Luxembourg et Dubaï, lui offre une plateforme structurée pour accompagner cette dynamique.

La presse a largement relayé ce mouvement : France Info, Le Figaro, South China Morning Post et plusieurs médias spécialisés ont contribué à installer un discours critique autour de son travail. C’est ce type de discours qui, à terme, soutient la valeur d’une œuvre, bien au‑delà des effets de mode.

Un changement de paradigme

En tant que curatrice engagée sur les scènes africaines et diasporiques, je lis le parcours de John Madu, d’Amsterdam à Paris, comme le symptôme d’un changement de paradigme. Les hiérarchies anciennes se fissurent. Les récits qui avaient été marginalisés trouvent enfin leur place dans des institutions de référence. Les artistes africains ne sont plus présentés comme « émergents ». Ils sont reconnus comme des acteurs centraux de la conversation contemporaine.

Beyond Borders porte un titre qui résume bien l’enjeu. Le travail de Madu traverse les frontières géographiques, culturelles et historiographiques. Il ne demande pas à être ajouté à un canon existant. Il participe à le redéfinir.

Pour les collectionneurs : une proposition forte

Du point de vue des collectionneurs, Madu réunit plusieurs éléments rarement alignés : une reconnaissance institutionnelle solide, une représentation en galerie sur plusieurs territoires, une signature visuelle immédiatement identifiable et un engagement avec des questions qui dépassent largement le cadre de l’art africain pour toucher à l’expérience contemporaine globale.

Ses peintures offrent une présence forte dans un espace, tout en ouvrant des niveaux de lecture successifs. Elles invitent à penser l’identité, la mémoire, la circulation des images, sans sacrifier la puissance plastique.

Au‑delà des frontières : ce que cette exposition nous dit

Le trajet de John Madu, de Lagos au musée Van Gogh, puis à Beyond Borders à Paris, n’est pas seulement l’histoire d’un artiste. Il signale une direction pour l’art contemporain dans son ensemble. La conversation engagée avec Van Gogh à Amsterdam se poursuit ici, et l’on peut déjà imaginer d’autres villes, d’autres institutions, d’autres contextes où ce dialogue se déploiera

Beyond Borders fonctionne comme un manifeste. L’exposition affirme que l’échange culturel ne peut plus être à sens unique, que les récits de l’histoire de l’art doivent s’ouvrir à d’autres géographies, et que les intérieurs de Lagos recèlent une richesse symbolique comparable à celle des ateliers d’Arles ou des salons parisiens.

Face à ces toiles, une chose apparaît clairement : l’art le plus vivant aujourd’hui refuse de choisir entre ancrage local et portée globale. Il revendique les deux. Le travail de Madu est profondément enraciné dans son contexte nigérian, tout en parlant à des expériences partagées de construction de soi, de négociation culturelle et de quête d’appartenance dans un monde traversé par les images.

Détails de l’exposition
Beyond Borders
John Madu
Galerie Zidoun‑Bossuyt, Paris
51 rue de Seine, 75006 Paris
8 novembre 2025 – 3 janvier 2026